¢ Les taxes variables sur les IDE
Une taxe sur les IDE devrait contrecarrer à la fois l'évasion fiscale entraînée par la mobilité des capitaux et l'érosion des droits fondamentaux des travailleurs dans les pays qui les accueillent. Et ce sans priver les pays pauvres des flux d'investissements, ni dicter aux firmes les endroits où elles doivent investir. Elle serait applicable à tous les investissements directs, que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres. Son taux serait indexé sur une " notation " attribuée par le Bureau International du Travail (BIT), qui prendrait en compte le respect des droits fondamentaux des travailleurs (droits syndicaux, travail des enfants...), mais pas le niveau des salaires. Les critères d'évaluation du respect de ces droits pourraient varier en fonction du niveau de développement.
A ceux qui prétendent qu'une telle mesure constituerait une entrave inadmissible à la " liberté " des échanges, les défendeurs d'une telle taxe répondront qu'elle vise au contraire à la garantir. Quand les droits des travailleurs sont bafoués, un marché particulièrement critique, celui du travail, n'est pas libre. Un authentique libre-échange implique que la liberté soit présente d'un bout à l'autre de la chaîne. Un marché du travail non libre est totalement incompatible avec le discours libre-échangiste.
Les défendeurs de la taxe sur les IDE proposent pour commencer une taxe de 20% applicable à tous les investissements dans les pays d'accueil qui se situent au bas de l'échelle du respect des droits fondamentaux. Cette taxe pourrait être modulée jusqu'à descendre à un minimum de 10% pour un pays qui respecterait mieux ces droits ou qui ferait des efforts significatifs dans la bonne direction. Le message aux transnationales serait clair : elles peuvent investir là où elles le souhaitent, mais elles seront davantage imposées si leur choix se porte sur les pays les moins regardants en matière sociale.
Une taxe sur les IDE se justifie en premier lieu parce que les gouvernements
des pays d'où partent les flux d'investissement doivent faire financer
une partie des coûts entraînés par la mobilité du
capital - chômage en particulier - par les impôts prélevés
sur les populations affectées, les facteurs " immobiles " dans
le jargon économique. Quant aux pays en développement, ils ont
également tout à gagner d'une telle mesure. La concurrence effrénée
à laquelle ils se livrent pour attirer les IDE, en tirant toujours plus
vers le bas les normes sociales, les condamne en effet à rester pauvres.
Ces politiques les enferment dans un " cul de sac ", car il y aura
toujours un autre pays qui proposera aux investisseurs des salaires encore plus
bas et des restrictions aux droits des travailleurs encore plus draconiennes.
Une taxe variable sur les IDE encourage un type de développement soutenable,
socialement progressiste et en harmonie avec ce que nous enseigne l'histoire
du décollage économique.
Un taux maximum de 20% sur les IDE produirait annuellement entre 65 milliards
et 32,5 milliards de dollars de revenus, selon les périodes de référence
et la dégressivité retenue. C'est certes beaucoup moins que les
quelques centaines de milliards de la taxe Tobin, mais, pour les pays en voie
de développement, l'avantage serait double : cette taxe s'attaque aux
problèmes structurels qui encouragent les bas salaires et des conditions
de travail inhumaines ; et elle ne nécessite pas la difficile bataille
politique qui devrait être menée pour leur redistribuer une partie
des produits de l'imposition de la spéculation sur les devises. On peut
d'ailleurs concevoir une combinaison des deux taxes.
¢ Les taxes de type " Unitary Tax "
Autre volet d'une restructuration de la taxation du capital : parer à
la manipulation des prix de transfert en calculant les bénéfices
d'une nouvelle manière et en identifiant les lieux où ils sont
imposables. Une méthode s'inspirant de la taxe unitaire (Unitary Tax)
existant aux Etats-Unis pourrait faire l'affaire. Elle s'appuierait sur des
catégories comptables connues et difficilement " contournables "
: bénéfices mondiaux consolidés, chiffre d'affaires mondial
consolidé et chiffre d'affaires dans un pays donné. Pour évaluer
l'assiette du bénéfice imposable, on diviserait le chiffre d'affaires
national d'une entreprise par son chiffre d'affaires mondial. Pour identifier
les bénéfices à imposer dans un pays donné, on appliquerait
ensuite ce pourcentage aux bénéfices mondiaux consolidés.
Par exemple, admettons que la multinationale Nike réalise 1 milliard
de dollars de bénéfice mondial consolidé. Son chiffre d'affaires
provient à 40 % de ses ventes aux Etats-Unis. On considérera qu'elle
a donc dégagé 400 millions de dollars de bénéfices
aux Etats-Unis et elle sera imposée en conséquence. Le grand avantage
de cette taxe unitaire est qu'elle résout la question des prix de transfert
et qu'elle est facile à calculer et à prélever, les possibilités
d'évasion fiscale étant très limitées. Elle implique
aussi bien le Nord que le Sud, et elle réduit les pressions que subissent
les pays du tiers-monde pour se transformer en paradis fiscaux.