Sources :"Les mouvements de capitaux, quelle efficacité ?" étudiants IUP Valence 2003, Jonathan FAYET

Les FMN

 

¢ Une situation problématique

Depuis le début des années 70, les entreprises ont constamment perfectionné leur capacité à contourner la fiscalité grâce, notamment, aux prix de transfert, d'abord dans les biens, puis dans les services. Une entreprise qui fabrique un produit complexe dans plusieurs pays effectue de nombreuses opérations comptables internes hors marché. Elle fabrique les composants de son produit dans différents Etats, fournit des services dans différents lieux, combine le tout dans un produit fini réalisé quelque part ailleurs, conduit sa recherche-développement sur des sites éparpillés, vend à l'échelle planétaire et gère la production et la vente à partir d'un ou de plusieurs sièges sociaux. Elle est ainsi en mesure de décider du " prix " adéquat de ses activités sur son propre marché interne, de manière à déclarer des frais élevés - et donc de faibles bénéfices - là où la fiscalité est la plus lourde, et des profits importants dans les pays où elle est la plus faible.
Par exemple, Nike a implanté ses activités à fort coût de main-d'œuvre (recherche-développement, mercatique et management) aux Etats-Unis, afin d'y déclarer des bénéfices modestes. Les autres activités sont délocalisées dans un pays à faible fiscalité, l'Indonésie. Ces stratagèmes lui permettent de bâtir une stratégie fiscale globale. Il est difficile, sinon impossible, pour les gouvernements, de faire la preuve de ces manipulations : les vérifications coûteraient tellement cher que le jeu n'en vaudrait pas la chandelle.
Pour que l'imposition du capital soit vraiment efficace, il faut donc inventer une autre stratégie comptable et cibler un élément de l'activité des entreprises qui ne se prête pas à l'évasion fiscale : les IDE. Les pays où ces investissements sont les plus importants sont aussi ceux où les salaires sont les plus bas, la législation du travail la plus laxiste, les destructions de l'environnement les plus graves et la fiscalité la plus faible. Au total, les IDE ont été multipliés par cinq en dix ans, passant de 60 milliards de dollars par an en 1985 à 315 milliards en 1995 et 355 milliards de dollars en 1997. A la fin de la décennie dernière, la part de ces flux qui se dirige vers les pays du tiers-monde était plus forte que jamais : autour de 40 %. En cinq ans, de 1990 à 1995, elle était déjà passée de 20 % à 35 %. Les pays développés de l'OCDE investissent ainsi annuellement environ 130 milliards de dollars dans les pays du tiers-monde, dont plus de 40 milliards en Chine.
Cela pose le problème connexe de l'intégration à l'économie mondiale des pays à bas salaires qui ne respectent aucune des normes de l'Organisation Internationale du Travail (OIT) en matière de liberté syndicale, de travail des enfants, d'utilisation de la main-d'œuvre carcérale, voire de travail forcé. Et les firmes transnationales ont vite compris qu'elles pouvaient aussi délocaliser non seulement les activités à forte intensité de main-d'œuvre, mais aussi les activités les plus sophistiquées, celles à la plus forte intensité de capital humain, dans les pays où les salaires sont les plus dérisoires et où le fisc est le moins exigeant.


¢ Les taxes variables sur les IDE

Une taxe sur les IDE devrait contrecarrer à la fois l'évasion fiscale entraînée par la mobilité des capitaux et l'érosion des droits fondamentaux des travailleurs dans les pays qui les accueillent. Et ce sans priver les pays pauvres des flux d'investissements, ni dicter aux firmes les endroits où elles doivent investir. Elle serait applicable à tous les investissements directs, que ce soit dans les pays riches ou dans les pays pauvres. Son taux serait indexé sur une " notation " attribuée par le Bureau International du Travail (BIT), qui prendrait en compte le respect des droits fondamentaux des travailleurs (droits syndicaux, travail des enfants...), mais pas le niveau des salaires. Les critères d'évaluation du respect de ces droits pourraient varier en fonction du niveau de développement.

A ceux qui prétendent qu'une telle mesure constituerait une entrave inadmissible à la " liberté " des échanges, les défendeurs d'une telle taxe répondront qu'elle vise au contraire à la garantir. Quand les droits des travailleurs sont bafoués, un marché particulièrement critique, celui du travail, n'est pas libre. Un authentique libre-échange implique que la liberté soit présente d'un bout à l'autre de la chaîne. Un marché du travail non libre est totalement incompatible avec le discours libre-échangiste.

Les défendeurs de la taxe sur les IDE proposent pour commencer une taxe de 20% applicable à tous les investissements dans les pays d'accueil qui se situent au bas de l'échelle du respect des droits fondamentaux. Cette taxe pourrait être modulée jusqu'à descendre à un minimum de 10% pour un pays qui respecterait mieux ces droits ou qui ferait des efforts significatifs dans la bonne direction. Le message aux transnationales serait clair : elles peuvent investir là où elles le souhaitent, mais elles seront davantage imposées si leur choix se porte sur les pays les moins regardants en matière sociale.

Une taxe sur les IDE se justifie en premier lieu parce que les gouvernements des pays d'où partent les flux d'investissement doivent faire financer une partie des coûts entraînés par la mobilité du capital - chômage en particulier - par les impôts prélevés sur les populations affectées, les facteurs " immobiles " dans le jargon économique. Quant aux pays en développement, ils ont également tout à gagner d'une telle mesure. La concurrence effrénée à laquelle ils se livrent pour attirer les IDE, en tirant toujours plus vers le bas les normes sociales, les condamne en effet à rester pauvres. Ces politiques les enferment dans un " cul de sac ", car il y aura toujours un autre pays qui proposera aux investisseurs des salaires encore plus bas et des restrictions aux droits des travailleurs encore plus draconiennes. Une taxe variable sur les IDE encourage un type de développement soutenable, socialement progressiste et en harmonie avec ce que nous enseigne l'histoire du décollage économique.
Un taux maximum de 20% sur les IDE produirait annuellement entre 65 milliards et 32,5 milliards de dollars de revenus, selon les périodes de référence et la dégressivité retenue. C'est certes beaucoup moins que les quelques centaines de milliards de la taxe Tobin, mais, pour les pays en voie de développement, l'avantage serait double : cette taxe s'attaque aux problèmes structurels qui encouragent les bas salaires et des conditions de travail inhumaines ; et elle ne nécessite pas la difficile bataille politique qui devrait être menée pour leur redistribuer une partie des produits de l'imposition de la spéculation sur les devises. On peut d'ailleurs concevoir une combinaison des deux taxes.


¢ Les taxes de type " Unitary Tax "

Autre volet d'une restructuration de la taxation du capital : parer à la manipulation des prix de transfert en calculant les bénéfices d'une nouvelle manière et en identifiant les lieux où ils sont imposables. Une méthode s'inspirant de la taxe unitaire (Unitary Tax) existant aux Etats-Unis pourrait faire l'affaire. Elle s'appuierait sur des catégories comptables connues et difficilement " contournables " : bénéfices mondiaux consolidés, chiffre d'affaires mondial consolidé et chiffre d'affaires dans un pays donné. Pour évaluer l'assiette du bénéfice imposable, on diviserait le chiffre d'affaires national d'une entreprise par son chiffre d'affaires mondial. Pour identifier les bénéfices à imposer dans un pays donné, on appliquerait ensuite ce pourcentage aux bénéfices mondiaux consolidés. Par exemple, admettons que la multinationale Nike réalise 1 milliard de dollars de bénéfice mondial consolidé. Son chiffre d'affaires provient à 40 % de ses ventes aux Etats-Unis. On considérera qu'elle a donc dégagé 400 millions de dollars de bénéfices aux Etats-Unis et elle sera imposée en conséquence. Le grand avantage de cette taxe unitaire est qu'elle résout la question des prix de transfert et qu'elle est facile à calculer et à prélever, les possibilités d'évasion fiscale étant très limitées. Elle implique aussi bien le Nord que le Sud, et elle réduit les pressions que subissent les pays du tiers-monde pour se transformer en paradis fiscaux.