Une nouvelle gauche ?
Où va ATTAC ?
ATTAC est une organisation qui a émergé sur la scène politique très rapidement. A la fin novembre 2001, elle comptait près de 28 000 membres à jour de leur cotisation (en progression de 17 % par rapport à l’année précédente) et 230 comités locaux qui animent ses activités dans toutes les régions. Son existence fait partie d'une radicalisation politique montante, et reflète aussi l'incapacité des partis politiques existants à cristalliser cette radicalisation. Dans cet article, qui vise à ouvrir un débat, nous essaierons de voir les forces et les faiblesses d'ATTAC et son avenir dans le combat pour un autre monde.
La croissance d'ATTAC fait partie d'une radicalisation politique plus large en France. Nous pouvons remarquer plusieurs vecteurs de radicalisation, tous largement accélérés, voire créés, par les répercussions de la grande grève de l’hiver 1995.
La gauche révolutionnaire (LO et la LCR) a trouvé une audience nouvelle, d'abord électorale, et puis, aussi, à une moindre échelle, dans l'activité militante et les luttes sociales.
Au sein du PS également, l'aile gauche minoritaire a pu gagner un soutien plus large dans les dernières années, avec le rapprochement de la Gauche socialiste et le courant Emmanueli. Ce renforcement de la gauche représente un fait rare au sein des partis socialistes européens.
Au niveau local, les listes " Motivées " et " citoyennes " entre autres, expriment également une radicalisation politique. Des dizaines voire des centaines de milliers de personnes ressentent le besoin d'une cristallisation politique de leur colère contre la mondialisation capitaliste - contre les licenciements, la précarité, les attaques sur les services publiques.
Le succès d'ATTAC est dû à l'incapacité des partis existants d'exprimer cette colère et de défendre les intérêts des travailleurs. La politique gestionnaire du PS, et la faillite du modèle russe qui a accéléré le déclin du PCF y sont pour beaucoup.
La nature d'ATTAC
Attac est l’expression la plus novatrice et la plus dynamique de la nouvelle gauche en France. Elle représente une forme d'organisation nouvelle.
Elle n'est pas simplement un front unique, un outil pour organiser une action unie par des gens qui ne sont pas d'accord sur d'autres questions. Car les questions qu'elle pose la mènent de plus en plus loin dans la remise en cause d'aspects du système capitaliste. Des sections d'ATTAC se sont occupées de questions aussi diverses que la prostitution dans le monde, les paradis fiscaux, la Palestine, les OGM, les services publics, les licenciements, la culture. La suite logique de telles analyses est de rechercher les liens entre les différentes questions traitées, et mettre en cause le système capitaliste en tant que tel.
ATTAC n’est pourtant pas un parti politique. Elle ne brigue pas le pouvoir d’une façon ou d’une autre. Ceci lui a permis d'attirer et d'organiser des milliers de militants qui peuvent s'accorder sur de nombreuses critiques du capitalisme néolibéral, mais qui ne sont pas suffisamment d'accord pour esquisser un programme politique complet. Ainsi Pierre Khalfa, un des dirigeants d’Attac, explique que " Attac veut essayer de dépasser le dilemme entre réformistes sans réformes et révolutionnaires sans révolution. Nous voulons agir pour construire des rapports de force afin d'imposer des mesures qui, tout en améliorant la situation actuelle en régulant le capitalisme financiarisé, ouvrent la voie à une société nouvelle dans laquelle les peuples et les citoyens auraient enfin la maîtrise de leur destin ".
Egalement Attac a pu attirer ceux qui se méfient (et c'est compréhensible) de tout parti politique.
Mais si la critique de la " dictature des marchés " rassemble et motive, d'autres questions restent ouvertes. En particulier, deux questions - Jusqu'où doit aller une critique du capitalisme, et quelles forces et quelles stratégies peuvent apporter une alternative ?
Les idées dans ATTAC
Dès sa fondation, la direction d'ATTAC a intégré différents groupes, qui ont des orientations différentes pour l'organisation. Les nouvelles classes moyennes intellectuelles forment une partie influente, représentées par la présence de Bernard Cassen du Monde Diplomatique en tant que président. La deuxième vient des syndicats ouvriers, d’employés et même de paysans, comme celui des organisations des mouvements sociaux (chômeurs, sans toit, sans droits, etc.). Ce deuxième groupe est déterminant au sein d’ATTAC, à la direction comme dans les comités locaux.
Mais l’influence importante de dirigeants syndicaux (Tartakovski du syndicat des cadres CGT, Khalfa du Groupe des dix, Aguitton de SUD-PTT, d’autres encore) est source de conflits internes avec la direction.
Car les idées et les conceptions de la " nouvelle classe moyenne intellectuelle " limitent souvent l'efficacité politique de l'organisation. Ces idées se limitent, au niveau de l'analyse économique, au keynésianisme - l'idée que l'Etat, au dessus des classes, peut être obligé à gérer l'économie dans l'intérêt des citoyens. Au niveau de l'activité politique, elles ont tendance à trop privilégier le lobbying sur les élus plutôt que la mise en place d'un rapport de forces.
Cette orientation localise souvent le problème du néolibéralisme dans la tête des citoyens autant que dans le pouvoir de la classe dirigeante. Comme l'a exprimé Bernard Cassen au Zénith : "Notre combat ne vise rien moins qu'à combattre et chasser le virus libéral qui infecte les esprits.".. Au niveau de "l'éducation populaire", elle tend à privilégier la production de textes et de discours d'expert pour la consommation d'un public cultivé.
A tous les niveaux, ATTAC reflète les contradictions entre ces différentes influences. Une analyse de classes, qui comprend qu'il ne peut pas y avoir de compromis durable avec les dominants est présente dans ATTAC. Comme l'a exprimé Susan George lors de l'événement au Zénith : "La classe qui nous domine ne veut qu'une chose - elle veut tout, elle veut contrôler toutes les ressources, elle veut toutes les libertés, et il faut la combattre". Le public au Zénith a accueilli avec enthousiasme ce type de déclaration.
Une troisième vision au sein d'ATTAC propose des actions de type fondamentalement individuelles (la consommation éthique, le boycott individuel des entreprises les plus symboliques de la mondialisation néolibérale, etc…).
Il ne 's’agit pas de trois courants distincts, car des éléments de chacune de ces orientations peuvent être présentes chez la même personne.
L'action commune contre le néolibéralisme par des tenants de ces diverses positions est en soi une évolution excellente. Cependant, ces idées ne peuvent manquer de donner lieu à des contradictions au sein du mouvement. A titre d'exemple, la proposition d'inviter les grévistes de chez Macdonalds à intervenir de la tribune au Zénith a donné lieu à un vif débat au sein de la direction d'ATTAC. Le fait qu'ils aient pu intervenir, et qu'ils aient été accueillis avec un très grand enthousiasme, montre l'influence importante au sein d’Attac des courants issus des syndicats radicaux et de l’aile gauche du mouvement ouvrier (FSU, G10 Solidaires – SUD).
Pas d'alternative globale
L'effondrement des pays de l'Est et le glissement rapide vers une politique gestionnaire, soumise aux lois du marché, du PS et du PCF a rendu très difficile aux gens qui détestent le système de profit l'élaboration d'une alternative globale - un modèle d'une autre société.
La critique radicale du capitalisme n'équivaut pas à une vision d'une nouvelle société ni à une stratégie pour y arriver.
L'indépendance
La détermination de l'essentiel des membres d'ATTAC de ne pas voir ATTAC devenir un parti politique reflète à la fois la difficulté de trouver une vision globale et précise qui réunira tous les membres, et une méfiance très forte envers les partis politiques. Les idées de type semi- anarchiste, selon lesquelles toute organisation avec un programme entier de changement de société porterait en soi les germes d'une trahison voire d'un totalitarisme sont très courantes au sein de l'association.
La variété des idées au sein de l'organisation va de pair avec une variété dans les actions entreprises.
Dès la constitution d'ATTAC, "elle s’est d’emblée assignée une mission d’éducation populaire orientée vers l’action contre la dictature des marchés, et, d’autre part, qu’elle place cette mission dans un cadre non seulement international, mais également internationaliste, la solidarité avec les sociétés des autres pays du monde se situant au centre même de sa démarche."(plate-forme ATTAC)
L'éducation populaire est donc la première tâche de ATTAC qui recueille l'approbation de tous ses membres. La production d'analyses, de livres, et de bulletins, l'organisation des réunions et des débats. Bien des groupes locaux ont tenté de rendre cette éducation la plus populaire possible - des films et des expositions, plutôt que des longues conférences d'experts, par exemple. Au niveau national, les livres édités ont été courts et pas chers.
Ce travail d'éducation a permis de produire des textes (qui expliquent les transformations en cours du capitalisme, qui décrivent les mouvements du capital en expansion mondiale, et qui fassent un état des lieux solides des attaques libérales en cours. Tout ça, c'est nécessaire pour lutter aujourd'hui.
Le deuxième type d'action est celui de faire pression sur les élus. Comme le dit Bernard Cassen : "Nous ne présenterons ni ne soutiendrons aucun candidat à quelque élection que ce soit. Mais que les états-majors des partis politiques ne soient cependant pas trop rassérénés, car nous entendons jouer en permanence notre rôle de stimulateurs démocratiques auprès de chacun d'entre eux".
Troisièmement, la participation aux manifestations contre les institutions du capitalisme internationale (à Nice, à Gênes ou à Bruxelles, ou devant la Bourse de Paris) ont attiré beaucoup de nouveaux membres et ont contribué à populariser une critique radicale du capitalisme.
Enfin, quelques groupes locaux, mais une minorité, se sont engagés à fournir un soutien actif aux luttes des travailleurs - Danone et Macdonalds entre autres.
Les contradictions
Tout mouvement de radicalisation de masse commence par s’inscrire dans, et à tenter de tirer le meilleur des institutions comme des idées dominantes. Attac ne fait pas exception. Mais le potentiel de cette remise en cause de l’intérieur est considérable.
Un mouvement radical qui veut avancer vite a intérêt à organiser beaucoup parmi les jeunes, qui ont plus de temps et d'enthousiasme que leurs aînés, n'ayant pas vécu les défaites des années précédentes. Etrangement, ATTAC organise peu de jeunes. Mais des comités étudiants, de grandes écoles et lycéens - très peu - ont émergé surtout au cours de la dernière session universitaire. Le potentiel de croissance est considérable dans la jeunesse si l’Association sait s’y engager avec détermination. Mais en retour, cela accentuerai le décalage entre la direction, ou certains de ses éléments prépondérants, et les comités de membres jeunes.
Une des forces d'ATTAC est la large autonomie qu'elle laisse aux groupes locaux dans le choix des formes et des sujets d'action. C'est un vecteur d'initiative par la base.
Cela dit, les structures d'ATTAC sont peu démocratiques. Les membres fondateurs gardent des pouvoirs immenses dans les mécanismes de décision. Les structures de l'association étaient mises en place pour une organisation qui ne pensait pas avoir vocation à devenir une organisation de masses, et elle reflète parfois les priorités de l'orientation vers un débat et une production prioritairement intellectuelle, ou le rôle des militants serait limité à l'organisation de forums pour permettre aux experts d'expliquer le monde au public. Ainsi, les statuts d’Attac ne correspondent plus à la nouvelle réalité de l’association. Ils ont été élaborés lorsque Attac n’était qu’une amicale d’adhérents organisée par une équipe de dirigeants et d’experts disposant d’importants relais médiatiques.
Les statuts ne mentionnent pas l’existence de comités locaux. Ceux-ci font pression aujourd’hui dans l’association pour se faire reconnaître et développer la " démocratie participative " à l’intérieur même du mouvement. C'est ainsi qu'on a pu voir à plusieurs reprises des tensions au sein d'ATTAC autour de la question de la démocratie. La direction s'est montrée bien plus démocratique que les structures de l'organisation. Les pressions des militants ont généralement étaient prises en compte, même sur le tard.
Par exemple, lors de l'université d'été d'ATTAC après Gênes, le désir des militants de discuter en détail de cet événement et de ses répercussions n'était pas pris en compte lors de la rédaction du programme de l'événement, mais un peu de pression a suffi pour qu'une séance soit consacrée à cette discussion. Autre exemple, la mise en place fin 2001 d'un groupe thématique "Démocratisons ATTAC" a vu le comité d'administration envoyer des représentants à l'assemblée de ce groupement pour discuter de leurs soucis.
L'apparition de "Démocratisons ATTAC" reflète les frustrations d'une partie des militants par rapport à l'orientation souvent élitiste d'une partie de la direction. Mais la caractérisation faite par certains membres de ce regroupement de la direction d'ATTAC est largement exagérée. La direction d'ATTAC n'est pas une bureaucratie professionnelle qui défend ses postes comme dans un parti politique. D'ailleurs selon les statuts ils ne peuvent même pas être rémunérés. Elle n'est pas non plus systématiquement une direction qui freine le développement de l'organisation. C'est la direction (contre l’avis d'un grand nombre d'adhérents) qui a décidé d'organiser un grand événement au Zénith en janvier. Les structures d'ATTAC doivent évoluer dans un sens plus démocratique, mais ce n'est pas en posant des faux débats ni en lançant des attaques intempestives contre la direction qu'on y arrivera.
La question de la démocratie au sein de l'organisation est surtout une question de "démocratie pour quoi faire?". Les limites de la direction nationale sont politiques plus que autoritaires. La CNCL (Collectif National des Comités Locaux) - rassemblement trimestriel des délégués des groupes locaux - semble le meilleur endroit pour développer la réactivité de l'association à sa base. Il faut que la CNCL représente de plus en plus de comités locaux et qu'elle soit le lieu d'un débat tactique et stratégique approfondi. Plus la CNCL sera une structure solide, plus il sera facile de mener des actions coordonnées et efficaces sur l’ensemble du territoire.
Deux exemples montrent le besoin d'évolution dans les méthodes de direction
La manifestation en été 2001 à Gênes a constitué un tournant dans l’expérience militante. Ce fut la plus grande mobilisation contre les instances internationales du système, dans ce cas le G8. La quasi absence à cette occasion pendant les manifestations des principaux membres du bureau national a constitué une illustration d'un vide. Les communiqués du bureau national pendant et à la suite de Gênes ont prouvé qu’il durcissait sa position et répondait pour l’essentiel correctement à la répression policière. Il y a peu de décalage politique entre la direction et la base d’Attac. Mais il manque une direction militante au sens large, en-dessous du national, du régional et au départemental, capable de coordonner sur le terrain les différents comités, d’impulser les services d’ordre, d’organiser les moindres " détails " (pourtant cruciaux) d’une mobilisation. Ce vide est plus celui de direction militante au sens large que de vide de direction politique.
La méfiance, très saine, envers les partis politiques existantes a tendance à se transformer en méfiance (très nocive) à la constitution d'une direction militante capable de rendre l'organisation plus réactive et plus combative en proposant rapidement des actions à mettre en place.
Une expérience similaire a été vu par rapport à la guerre de Bush. La direction d'ATTAC a rédigé et diffusé des communiqués exprimant une position tout à fait juste sur la guerre, et en avance par rapport à la position de certains militants de base. Mais il n'y a eu aucune tentative d'organiser ou de se rallier à une campagne de masse contre la guerre impérialiste américaine. La peur d'aliéner une section des membres ou de l'opinion publique exprime en partie cette paralysie. Une grande partie des militants de base qui s'opposaient à la guerre était d'accord avec la direction que "ATTAC ne peut pas s'occuper de tout", mais d'autres étaient frustrés voire en colère contre la direction.
Un débat de fond traverse Attac : est-ce que l’association doit investir tous les sujets de l’actualité ou bien se cantonner uniquement aux thèmes présents dans la plate-forme. Certains, la majorité aujourd’hui, considèrent que ce qui fait la spécificité d’Attac est ses terrains d’intervention : Taxe Tobin, Paradis fiscaux, services publics, etc. D’autres considèrent au contraire que la spécificité d’Attac ne réside pas dans ses terrains d’intervention mais dans la façon spécifique qu’elle a d’aborder tous les thèmes auxquels est confronté le mouvement pour une autre mondialisation : la Palestine, sous l’angle des échanges commerciaux entre l’Union Européenne et Israël par exemple, ou la situation économique dans les territoires occupés. La guerre pourrait ainsi être abordée plus frontalement par Attac, au moins dans un premier temps pour comprendre les enjeux commerciaux, économiques, des interventions militaires.
Si le manque d'une direction militante n'est pas résolu, on peut être sûr que les tensions entre la direction et les membres, surtout les jeunes membres soucieux d'un mouvement actif et efficace, grandiront.
Dans l'année à venir, ATTAC affrontera encore des problèmes de croissance. Il faudrait qu’elle prenne toutes ses responsabilités dans la nouvelle conjoncture qui s’ouvre : menace de récession, austérité probable, licenciements et lutte contre les plans sociaux, etc. Le ton très combatif de la direction au Zénith, par exemple contre le MEDEF, est prometteur. Mais bien des questions restent à être réglées.
Quant aux révolutionnaires, qui devraient pouvoir trouver une audience très grande au sein d'ATTAC, ils sont pour la plupart étrangement silencieux (mis à part un ou deux petits groupes d'enragés peu enviables). Un des objectifs de notre revue est de présenter des idées aux militants anti-libéraux d'ATTAC, tout en respectant l'indépendance d'ATTAC et la méfiance de certains de ses militants. Car la dictature des marchés posent des questions qui nécessiteront des stratégies plus solides que celles d'une simple éducation populaire, aussi nécessaire soit-elle.
John Mullen et Hassan Berber
Cet article a été publié en février 2002 dans Socialisme International N° 2
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